Ceres Franco

Ceres Franco

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Cérès Franco naît en 1926 au Brésil. Au gré de ses lectures et découvertes, elle développe très tôt une passion pour les arts. Après avoir suivi des études d’histoire de l’art à l’université de Columbia et à la New School de New York, elle part compléter sa formation en Europe. En 1951, elle s’installe à Paris qu’elle prend comme base, visite les grands musées et galeries d’Europe et devient critique d’art. Elle se passionne pour toutes les formes d’expérimentations picturales, mais elle est spontanément attirée par celles dont les modes d’expression contournent ou remettent en cause les normes et les codes en vigueur. C’est ainsi qu’elle s’attache par exemple aux artistes qui ont fondé le mouvement CoBrA.

En 1962, elle organise sa première exposition de peinture à Paris où elle demande aux artistes de travailler sur un format ovale ou rond. Cette exposition s’intitule L’Œil de Bœuf. Ce nom deviendra l’emblème des différentes manifestations qu’elle concevra par la suite, et le nom de la galerie qu’elle ouvrira dix ans plus tard. L’année suivante, elle réalise également sous le patronage de Jean Cocteau, une grande exposition à Paris, Formes et magie. Elle y rassemble des sculptures de Picasso, Henri Laurens, Max Ernst, Takis, Dodeigne, Arp, César, Etienne Martin, Germaine Richier, etc.

En 1965 et 1966, elle présente une sélection d’artistes vivants à Paris au Musée d’art moderne de Rio de Janeiro : Opinio 65 puis Opinio 66. Le gouvernement brésilien la charge en 1972 d’organiser la sélection des meilleurs artistes pour la Triennale d’art naïf de Bratislava. La section brésilienne reçoit le prix de la meilleure sélection nationale.

Dans sa galerie, qui voit le jour en 1972, elle soutient des artistes issus de la Nouvelle Figuration qui s’opposaient au minimalisme pictural de l’époque, mais également des artistes en exil venus d’Amérique du Sud et d’Europe de l’Est, fuyant les dictatures de leurs pays et qui trouvaient, alors en Paris, un lieu où s’exprimer en toute liberté. Marcel Pouget, Jean Rustin, Michel Macréau, Jacques Grinberg, Corneille, Abraham Hadad et tant d’autres comptent aussi parmi ses invités. Parallèlement, et sous l’œil bienveillant de Jean Dubuffet, elle montre plusieurs artistes qualifiés – à l’époque – d’artistes bruts ou singuliers (Stani Nitkowski, Jaber, Chaibia, Christine Sefolosha).

La galeriste noue des liens d’amitié forts et se nourrit d’échanges complices avec tous ces artistes. Elle aime aussi vivre entourée de leurs œuvres qui se retrouvent donc tout naturellement dans sa collection. Année après année, la collection s’enrichit pour compter aujourd’hui plus de 1 500 œuvres.

En 1994, Cérès Franco acquiert deux maisons à Lagrasse dans les Corbières et y installe sa collection qu’elle ouvre au public. En rejoignant la Coopérative de Montolieu en 2015, l’idée de transférer cette collection de façon pérenne en terre audoise fait son chemin. Fruit de rencontres et d’amitiés, la collection Cérès Franco permet de retracer la vie d’une femme qui a marqué les milieux artistiques en défendant des artistes, en toute indépendance et en s’intéressant à des formes d’art qui n’ont pas toujours leur place dans les musées et qu’Itzhak Goldberg appelle « la face cachée de l’art contemporain ».

La Collection

La collection

Résolument internationale, la collection de Cérès Franco est constituée d’un ensemble exceptionnel de plus de 1 500 œuvres de la seconde moitié du XXe siècle et du XXIe siècle. Naïfs brésiliens et européens, art populaire sud-américain, art brut, autodidactes, singuliers ou encore artistes historiques issus du mouvement CoBrA ou de la Nouvelle figuration, la provenance des œuvres traduit un goût éclectique pour un art situé en marge des grands courants adoubés par les institutions et la critique, àsavoir l’art abstrait et conceptuel d’après-guerre. Longtemps boudées, ces productions connaissent, depuis quelques années seulement, un regain de visibilité et de reconnaissance au sein des grands musées internationaux (Centre Georges Pompidou, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Musée d’art et d’Histoire du Judaïsme, LaM à Villeneuve d’Asq), mais également auprès des collectionneurs.

Sa collection a pour spécificité de réunir sous un même toit des œuvres réalisées avec des techniques très diverses (peintures, sculptures, dessins, gravures, installations, etc.) et un large éventail de courants figuratifs, où sans volonté de hiérarchie, l’art populaire côtoie celui des singuliers et des courants plus académiques. Si bien des œuvres échappent au jeu des définitions et des catégories, certaines tendances se dessinent. Au cours des cinquante dernières années, les choix artistiques de Cérès Franco ont été marqués notamment par :

  • Son goût prononcé pour l’art naïf et l’art populaire avec une collection d’ex-voto brésiliens, de masques mexicains et de nombreuses œuvres d’artistes naïfs brésiliens ;
  • Son goût pour des artistes de l’imaginaire avec le groupe CoBrA (courant des années 1950 qui valorise une expressivité plus spontanée) avec le peintre Corneille qui fait partie de ses grandes rencontres et avec de nombreux peintres autodidactes comme Chaïbia, Jaber, Christine Sefolosha ou Philippe Aïni ;
  • Le soutien de Jean Dubuffet, qui a orienté vers elle de nombreux artistes, à commencer par le peintre Stani Nitkowski qui figure en bonne place dans sa collection.
  • À l’époque, le terme d’art brut était en vogue et la collection de Cérès Franco a d’ailleurs été associée à cette forme d’art. Aujourd’hui, il serait plus approprié de parler d’artistes outsider.
  • La rencontre avec l’œuvre de Michel Macréau en 1960. L’écriture avant-gardiste de ce peintre déterminera beaucoup de ses choix ultérieurs. Michel Macréau sera associé pour certains à la Nouvelle Figuration, courant esthétique qu’a défendu Cérès Franco, reprenant à son compte cette appellation, et présentant dans la foulée les artistes Marcel Pouget et Jacques Grinberg et bien d’autres, tous issus des écoles des beaux arts.

L’unité d’un regard

« Les grandes collections ont toujours été faites par des individus, non des institutions, et sur des coups de cœur, des partis-pris, de façon essentiellement subjective, en suivant la loi du goût personnel et de la sensibilité », estimait

Laurent Danchin. Cette remarque s’applique tout à fait aux conditions dans lesquelles a été constituée la collection Cérès Franco. Au-delà des nombreux courants artistiques, elle reflète avant tout, et avec une cohérence rare, le regard d’une collectionneuse insatiable, passionnée et exigeante qui a porté son choix vers des œuvres figuratives fortes, d’une grande intensité chromatique. La figure humaine, incarnation des inquiétudes mais aussi des joies de l’existence, et l’authenticité du geste sont au centre des préoccupations de ces artistes, qu’ils soient autodidactes ou qu’ils aient suivi un cursus académique.

Un miroir actuel de nos interrogations

Une des originalités de sa collection tient justement à ce qu’elle restitue aujourd’hui plus que jamais, dans une troublante concomitance avec l’actualité, le questionnement que les artistes posent sans relâche à leurs contemporains, parce qu’il est dans leur rôle d’éclairer une société qui se cherche ou qui s’interroge sur son devenir. La plupart d’entre eux répondent au besoin impérieux d’exprimer comme une libération les émotions les plus vives, les sentiments les plus intimes ou les blessures les plus douloureuses qu’ils portent en eux. « C’est une femme qui n’avait peur de rien, et qui s’ouvrait à des artistes difficiles », a confié encore Laurent Danchin à propos de Cérès Franco. Et en effet, toutes les œuvres qu’elle a rassemblées répondent aux engagements artistiques qu’elle a toujours proclamés à partir de ce mélange culturel subtil qui est le sien. Les œuvres peintres, sculptées ou dessinées par différentes générations de peintres et de créateurs portent témoignage de la richesse et du talent de leurs auteurs autant que de son propre engagement artistique personnel.